TOP 5 des spectacles du Off 2022
Théâtre, seule en scène, marionnettes, cirque et hybride : voilà, entre autres, ce que le festival d’Avignon peut nous offrir. Et l’on vous a déniché quelques pépites !
« Hermann » : comme dans un rêve éveillé
Pour commencer par le plus « classique », un texte contemporain de Gilles Granouillet : un matin, la police dépose au service de neurologie d’un hôpital un jeune homme égaré – dans tous les sens du terme : Hermann ne se souvient que de quelques mots de russe et d’un mystérieux prénom : Olia. La jeune psychiatre à qui l’on confie ce cas ne sait pas encore que cette rencontre va bouleverser sa vie.
Entraînée aux confins de la mémoire vers des territoires troubles, cette histoire défie la science. Le souvenir n’est-il pas le mensonge avec lequel on choisit inconsciemment de s’arranger ? Gilles Granouillet y injecte la question de la perte de la mémoire, qui l’a frappé personnellement, à travers la disparition d’un proche, victime d’Alzheimer. Il sème aussi quelques grains de sable qui font dérailler le cours normal des choses.
Thriller, ce texte est aussi un conte, une incroyable histoire d’amour par-delà l’espace et le temps. Comme les cœurs brisés qui cessent de battre, le temps s’arrête pour certains. Dans un espace baigné de sublimes lumières, le spectateur voyage entre passé et présent, histoire intime et Histoire européenne, vérité et fiction. Cinématographique, la mise en scène de François Rancillac apporte rythme et mystère. À la lisière, les personnages, incarnés par des acteurs convaincants, font vaciller nos repères, comme dans un rêve éveillé.
Hermann, cie Théâtre sur paroles
La Manufacture, jusqu’au 26 juillet, à 19h30, 2h10
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Irrésistible Léonore Chaix
Elle n’a qu’un objectif : finir d’accomplir la liste de ses tâches quotidiennes incompressibles dictées par son assistant de navigation personnel. Prise au piège d’une publicité virtuelle, cette femme est amenée à signer un contrat avec un commercial spécialisé en « production de choses qui arrivent ». Elle va alors basculer dans un monde de plus en plus délirant.
Faire du suspens avec rien, en voilà un programme ! Confrontée à ce qu’elle redoute le plus – qu’une chose lui arrive – ce polar métaphysique déjanté évoque ces expériences totalement absurdes imposées dans nos sociétés ultra connectées qui réduisent à néant nos espaces mentaux. Dérives de la robotique, déshumanisation, solitude… Au-delà de l’apparente anecdote, ce texte réjouissant (Édition des quatre-vents / l’Avant scène théâtre) est très profond. L’écriture rythmée et ludique nous tient en haleine de bout en bout. Une vraie épopée !
Léonore Chaix n’a pas seulement une plume alerte. C’est une interprète exceptionnelle, très bien dirigée par Anne Le Guernec, dont la mise en scène est ciselée, comme le reste. Assise ou debout, mais dans une économie de mouvement, la comédienne dérape, tout en self control, avec une expressivité du sourcil hallucinante ; elle s’embrouille sans jamais nous saouler. Statique, neutre, mais jamais transparente, elle parvient à faire surgir tout un monde. Et quel monde ! Elle est désopilante, sans doute grâce à son innocence. Ou plutôt son insolence ! On ne s’attendait pas à ce qu’une fable domestique nous touche autant.
La Femme à qui rien n’arrive, de Léonore Chaix
L’Artéphile, du 7 au 26 juillet, à 11h40, 1h05
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Stand’up sur l’histoire de la peinture occidentale
Il fallait oser : Hector Obalk l’a fait et il rencontre un tel succès, qu’après l’Olympia, la Cigale, le Théâtre de l’Atelier et le 13e Art, le voici à nouveau à Avignon. Sur la trame d’un mur de mille images, ce show propose toujours de naviguer de la Renaissance à l’art moderne, mais avec un nouveau parcours.
Depuis 45 ans qu’il se consacre à l’art, Hector Obalk est bien connu du grand public : historien, critique, auteur de documentaires, notamment de la série Grand’Art sur Arte. Et il est prolifique. Son idée est originale et la forme de son spectacle l’est tout autant. Accompagné de ses musiciens, cet expert passionné nous propose un parcours particulièrement éclairant de Giotto à Yves Klein. Tandis que l’écran géant projette certains détails d’une quinzaine de tableaux d’époques différentes, il synthétise brillamment les grands courants. Érudit et pédagogue, il alterne remarques pointues et généralités à un rythme tout à fait adapté. On en ressort plus intelligent et diverti car Hector Obalk n’a pas oublié d’être drôle.
Toute l’histoire de la peinture en moins de deux heures, Hector Obalk
Théâtre Actuel, jusqu’au 30 juillet, à 21h35, 1h20
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L’univers impitoyable du Old Trout Puppet Workshop
Frissonner en pleine canicule ! On se lève tôt pour découvrir les marionnettes et le théâtre d’objet de cette compagnie canadienne qui nous offre une rafraîchissante excursion dans l’absurde. Dans une succession de scénettes loufoques, ces créatures, dont la vie ne tient vraiment qu’à un fil, sont vouées à des morts aussi certaines que farfelues. Des aventures satiriques inspirées de pièces d’auteurs divers, dont la compagnie n’a gardé que le dénouement tragique, retravaillé à sa sauce.
Sous nos yeux ébahis, toutes les marionnettes rendent leur dernier soupir de façon burlesque et poétique. Malgré quelques effets spectaculaires, l’univers de bric et de broc rend hommage à l’artisanat. C’est inventif et raffiné. Tout est très soigné. Attention ! Cette danse macabre teintée d’humour noir est un spectacle pour adultes.
La Mort grandiose des marionnettes, Old Trout Puppet Workshop
Théâtre Giransole, jusqu’au 28 juillet, à 10h25, 1h10
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Machine de Cirque : spectaculaire et musclé
Le cirque envahit le musée ! En s’aventurant aux frontières de l’art par le truchement d’une exposition complètement absurde, Machine de Cirque crée des scènes insolites saisissantes de virtuosité.
Ruée vers l’art, cocktails snobs, clins d’œil aux enchères… Ces Québecois houspillent le monde de l’art. Détournant avec brio sculptures et monochromes, les personnages nous dévoilent, tambour battant, l’envers du décor, là où s’exprime la créativité débridée des artistes. Les prouesses sont vertigineuses et les trouvailles surprenantes. Une machine qui tourne à plein régime ! Mais au-delà de l’apparent culte de la performance, ce spectacle nous incite à sortir du rang, voire à l’insurrection artistique.
La Galerie, Machine de Cirque
La Scala Provence, jusqu’au 30 juillet, à 10h, 1h20
Sarah Meneghello
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